Retour aux articles

La semaine du droit pénal spécial

Pénal - Droit pénal spécial
13/03/2020
Présentation des dispositifs des arrêts publiés au Bulletin criminel de la Cour de cassation, en droit pénal spécial, la semaine du 2 mars 2020.
Prise illégale d’intérêt – intention frauduleuse
« Entre février et août 2015, le procureur de la République de Lyon a été destinataire de plusieurs courriers dénonçant les agissements de M. X, maire de la commune de Givors, qui venait de nommer sa sœur, Mme Y, en qualité de directrice générale des services de la mairie.
L’enquête, diligentée le 27 avril 2015, a permis d’établir qu’en septembre 2014, dans la lettre du maire au personnel de la mairie de Givors, M. X a annoncé la nomination de Mme Y au poste de directeur général des services.
Toutefois, le 27 novembre 2014, après une intervention des syndicats, le profil de poste correspondant à cette fonction été diffusé auprès du centre de gestion de la fonction publique territoriale en vue d’un recrutement.
A l’issue d’une préselection, le maire a retenu six candidats, dont Mme Y, qui ont été reçus pour un entretien par un jury de cinq personnes, auquel a participé le demandeur, et qui s’est prononcé à l’unanimité en faveur de Mme Y.
M. X a été cité pour avoir à Givors, courant 2014 et 2015, étant investi d’un mandat électif public, en l’espèce en sa qualité de maire de la commune de Givors, pris, reçu ou conservé, directement ou indirectement, un intérêt quelconque, dans une entreprise ou dans une opération dont il avait, au moment de l’acte, en tout ou en partie, la charge d’assurer la surveillance ou l’administration, en l’espèce en prenant un intérêt moral à la nomination de sa sœur, Mme Y, en qualité de directrice générale des services de la commune de Givors, alors qu’il avait la surveillance de ces opérations de nomination, après avoir notamment, d’une part, participé activement à la sélection des candidats, aux entretiens du jury de recrutement et au vote de ce dernier, d’autre part, signé personnellement les arrêtés municipaux de nomination de sa sœur.
Mme Y a été citée pour avoir à Givors, à compter du 22 janvier 2015, sciemment recelé les fonctions de directrice générale des services et l’ensemble des salaires versés au titre de la rétribution de ces fonctions, qu’elle savait provenir du délit de prise illégale d’intérêt commis par son frère M. X.
Le 6 juillet 2017, le tribunal correctionnel a déclaré les deux prévenus coupables des faits et les a condamnés, le premier, à six mois d’emprisonnement avec sursis, 10 000 euros d’amende et à trois ans d’inéligibilité, la seconde, à quatre mois d’emprisonnement avec sursis, à 5 000 euros d’amende et à une interdiction d’exercer une fonction publique pendant dix-huit mois, par un jugement à l’encontre duquel les prévenus et le ministère public ont interjeté appel.
Sur le premier moyen ;
Pour déclarer M. X coupable de prise illégale d’intérêt et Mme Y, coupable de recel de ce délit l’arrêt attaqué, après avoir rappelé les termes de l’article 432-12 du Code pénal, énonce que le prévenu avait la charge d’assurer la surveillance et l’administration de l’opération de recrutement au poste fonctionnel de directeur général des services de la commune dont il était le maire et qu’il a ainsi accompli, entre le 27 novembre 2014 et le 22 janvier 2015, les formalités procédurales de publicité et de sélection des candidats, la désignation, puis la nomination par arrêté de la nouvelle directrice générale des services, seul ou en tant que membre du jury de recrutement qu’il avait mis en place.
Ils relèvent ensuite qu’indépendamment des incompatibilités légales rappelées par les prévenus, indifférentes quant aux faits, le lien familial unissant les deux prévenus, frère et sœur, constitue un intérêt moral et suffit à caractériser l’intérêt quelconque exigé par le texte.
La cour d’appel conclut que Mme Y a sciemment bénéficié du produit du délit commis par son frère, dont elle n’a pu ignorer l’existence compte tenu de leur lien familial, étant relevé qu’elle a signé, sous la qualité de directrice générale des services, les lettres d’information dénommées « Servir le public », datées de juillet et août 2014, révélant ainsi une décision prise, en accord avec son frère, antérieurement aux opérations mêmes de recrutement.
En l’état de ces seules énonciations, la cour d’appel a justifié sa décision.
En vertu d’une jurisprudence constante, l’abus de fonction ainsi caractérisé suffit à lui seul pour consommer le délit de prise illégale d’intérêts et l’intention coupable est constituée par le seul fait que l’auteur a accompli sciemment l’acte constituant l’élément matériel du délit. Il n’est pas nécessaire qu’il ait agi dans une intention frauduleuse.
Le fait qu’un prévenu, maire d’une commune, se soit soumis aux règles de recrutement instaurées par la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 et le décret n° 86-68 du 10 janvier 1986, est sans incidence sur la caractérisation de l’infraction dès lors qu’il est, en toute connaissance de cause, intervenu à tous les stades de la procédure ayant abouti au recrutement d’un membre de sa famille, quelles que soient les compétences professionnelles de celui-ci.
Mais sur le second moyen ;
Vu l’article 132-1 du Code pénal et les articles 485, 512 et 593 du Code de procédure pénale :
En matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle.
Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
Pour condamner M. X à la peine de six mois d’emprisonnement avec sursis et à un an d’inéligibilité et Mme Y à quatre mois d’emprisonnement avec sursis, l’arrêt attaqué énonce que chacune de ces peines apparaît proportionnée à la nature et à la gravité des faits, ainsi qu’à la personnalité de leur auteur, jamais condamné.
En l’état de ces seules énonciations, sans mieux s’expliquer sur la gravité des faits, les éléments de personnalité des deux prévenus et leurs situations personnelles respectives, la cour d’appel a méconnu le sens et la portée des textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
La cassation sera limitée au prononcé des peines, dès lors que les déclarations de culpabilité n’encourent pas la censure ».
Cass. crim., 4 mars 2020, n° 19-83.390, P+B+I *
 
 
*Le lien vers la référence documentaire sera actif à partir du 13 avril 2020
 
Source : Actualités du droit