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La fixation des prix par décret des gels hydro-alcooliques pour une protection du consommateur contre les risques induits par une situation manifestement anormale

Affaires - Droit économique
09/03/2020
Par le décret n° 2020-197, en date du 5 mars 2020 (D. n° 2020-197, 5 mars 2020, JO 6 mars), entré en vigueur immédiatement, le Premier ministre fixe les prix de vente en gros et au détail des gels hydro-alcooliques jusqu’au 31 mai 2020, afin de protéger les consommateurs contre les risques induits par l’épidémie de coronavirus.
Rédigé sous la direction de Claudie Boiteau, en partenariat avec le Master Droit et régulation des marchés de l’Université Paris-Dauphine

La propagation de l’épidémie de coronavirus entraîne une explosion de la demande des consommateurs de gels de lavage de mains hydro-alcooliques. Ordinairement disponible en grande surface et pharmacie, le produit s’est rapidement trouvé en rupture de stock. Selon la loi de l’offre et de la demande, et face au risque anormal de pénurie, son prix de vente au consommateur final est monté en flèche.
 
Dans la foulée de l’annonce faite par le ministre de l’Économie, le 3 mars 2020, au terme d’une enquête de la DGCCRF, le Gouvernement a donc mis en œuvre le pouvoir dont il dispose, en application de l’article L. 410-2 du code de commerce, issu de l’ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, de fixer les prix par décret, dans certaines circonstances. En effet, si, l’article L. 410-2 précité pose le principe général de la libre détermination des prix de vente des biens, produits et services, via le jeu de l’offre et de la demande sur le marché, il assortit le principe d’exceptions, pouvant tenir notamment aux besoins de situations spécifiques, structurelles ou conjoncturelles.
 
Ainsi, il résulte de l’alinéa 2 de l’article L. 410-2 que les situations structurelles s’apparentent aux secteurs d’activité et aux zones géographiques exposées à des situations de monopole, ou à des difficultés durables d’approvisionnement. Un décret en Conseil d’État est alors nécessaire, après consultation de l’Autorité de la concurrence.
 
S’agissant de la fixation du prix des gels hydro-alcooliques, le décret s’appuie sur l’alinéa 3 de l’article L. 410-2 qui autorise le Gouvernement à arrêter, « par décret en Conseil d’État, contre des hausses ou des baisses excessives de prix, des mesures temporaires motivées par une situation de crise, des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou une situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé ». Le décret est pris après consultation du Conseil national de la consommation, pour une durée maximale limitée à six mois.
 
Tarifs réglementés applicables jusqu’au 31 mai 2020
Prix maximum TTC pour la vente au détail :
– 2 € pour un flacon de 50ml ou moins
– 3 € pour un flacon de plus de 50ml jusqu’à 100ml inclus
– 5 € pour un flacon de plus de 100ml à 300ml inclus
– 15 € pour un flacon de plus de 300ml
Prix maximum HT pour la vente en gros :
– 30 € pour 50ml ou moins
– 20 € pour plus de 50ml jusqu’à 100ml inclus
– 10 € pour plus de 100ml jusqu’à 300ml inclus
– 8 € pour plus de 300ml
 
Parallèlement à cette procédure, la voie de l’intervention législative demeure envisageable pour moduler les prix de vente afin de tenir compte de la situation économique générale, et plus particulièrement des ménages (CE, 10 déc. 2007,  no 296191, Poweo et FF3C, sur la fixation des tarifs du gaz combustible vendu à partir des réseaux publics de distribution).
 
Il est notable que le recours actuel à la réglementation des prix par l’Exécutif, expressément fondé sur la protection des consommateurs contre les risques induits par une situation conjoncturelle anormale, s’inscrit dans le contexte bien spécifique de lutte contre l’épidémie de coronavirus. En substance, il participe à la préservation de l’objectif à valeur constitutionnelle de santé publique.
 
La santé publique constitue un domaine privilégié de l’encadrement de la concurrence par la réglementation des prix. En témoigne l’insertion, dans le code de la santé publique (C. santé pub., art. L. 162-16-4), de multiples dispositions relatives au système de fixation des prix des médicaments génériques remboursés par la Sécurité sociale.
 
Le présent décret est à rapprocher du décret n° 2020-190 du 3 mars 2020 (D. n° 2020-190, 3 mars 2020, JO 4 mars), relatif aux réquisitions nécessaires dans le cadre de la lutte contre le virus covid-19. Ce dernier porte réquisition des masques respiratoires FFP2 détenus par toute personne morale publique ou privée, fabricants et distributeurs, au profit des professionnels de santé et des patients, jusqu’au 31 mai 2020.
 
En outre, il complète les  dispositions de l’arrêté du 4 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, relatif aux rassemblements publics en lieu clos (Arr. 4 mars 2020, NOR : SSAZ2006644A, JO 5 mars).
 
Il s’ensuit que la santé publique justifie également des atteintes proportionnées à diverses modalités de réalisation effective de la libre concurrence (droit de propriété, liberté de circulation, etc.), de la part de différents acteurs publics.
 
En témoigne, par exemple, la fixation des tarifs et prix limites de vente au public des dispositifs de prestations d’optique médicales, limitativement énumérées au code de la santé publique, par le comité économique des produits de santé (Décision du 6 mars 2019 fixant les tarifs et les prix limites de vente au public (PLV) de dispositifs et de prestations d'optique médicale inscrits sur la liste prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale).
 
Toutefois, des motifs distincts sont susceptibles de motiver la mise en œuvre de la compétence réglementaire. On peut citer, à titre de comparaison, le blocage des prix du carburants à la pompe, introduit par le décret n° 90-701 de Pierre Bérégovoy du 8 août 1990, relatif aux prix de vente des produits pétroliers, sous le gouvernement Michel Rocard, dans le contexte de la guerre du Golfe.
 
Une question demeure en suspens : celle des modalités de détermination du prix fixé et, en cas de recours en annulation, de motivation de ces dernières.
 
Pour aller plus loin
Sur le contrôle du prix des produits, voir Le Lamy droit public des affairesnos 525 et suivants ;
Sur la saisine pour avis de l’Autorité de la concurrence en matière de réglementation des prix, voir Le Lamy droit économiquen° 1996.
 
Marie Guéna
Source : Actualités du droit