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La semaine du droit pénal spécial

Pénal - Droit pénal spécial
02/03/2020
Présentation des dispositifs des arrêts publiés au Bulletin criminel de la Cour de cassation, en droit pénal spécial, la semaine du 24 février 2020.
Exhibition sexuelle – intention – protestation politique
 « Le 5 juin 2014, Mme A. X.  s’est présentée au musée Grévin, à Paris, dans la salle dite “des chefs d’Etat”, qui rassemble plusieurs statues de cire de dirigeants mondiaux. Elle a dévêtu le haut de son corps, révélant sa poitrine nue, portant l’inscription : “Kill Putin”. Elle a fait tomber la statue du président russe, M. Poutine, dans laquelle elle a planté à plusieurs reprises un pieu métallique pour partie peint en rouge, en déclarant : “fuck dictator, fuck Vladimir Poutine”. Elle a été interpellée et a revendiqué son appartenance au mouvement dit “Femen”, donnant à son geste le caractère d’une protestation politique.
Elle a été poursuivie devant le tribunal correctionnel pour exhibition sexuelle et dégradations volontaires du bien d’autrui. Par jugement du 15 octobre 2014, le tribunal correctionnel de Paris l’a déclarée coupable de ces deux délits, l’a condamnée à une amende de 1 500 euros et prononcé sur les intérêts civils. La prévenue et le ministère public ont relevé appel de ce jugement.
La cour d’appel de Paris s’est prononcé sur ces appels, par un arrêt du 12 janvier 2017, cassé par un arrêt de la Cour de cassation du 10 janvier 2018 (n°17-80.816), qui a renvoyé la cause et les parties devant la cour d’appel de Paris, autrement composée, laquelle a statué par l’arrêt attaqué.
 
Pour relaxer la prévenue de l’infraction d’exhibition sexuelle, la cour d’appel retient que la seule exhibition de la poitrine d’une femme n’entre pas dans les prévisions du délit prévu à l’article 222-32 du code pénal, si l’intention exprimée par son auteur est dénuée de toute connotation sexuelle, ne vise pas à offenser la pudeur d’autrui, mais relève de la manifestation d’une opinion politique, protégée par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Les juges énoncent que la prévenue déclare appartenir au mouvement dénommé “Femen”, qui revendique un “féminisme radical”, dont les adeptes exposent leurs seins dénudés sur lesquels sont apposés des messages politiques, cette forme d’action militante s’analysant comme un refus de la sexualisation du corps de la femme, et une réappropriation de celui-ci par les militantes, au moyen de l’exposition de sa nudité.
L’arrêt ajoute que le regard de la société sur le corps des femmes a évolué dans le temps, et que l’exposition fréquente de la nudité féminine dans la presse ou la publicité, même dans un contexte à forte connotation sexuelle, ne donne lieu à aucune réaction au nom de la morale publique.
La juridiction du second degré souligne que, si certaines actions menées par les membres du mouvement “Femen” ont été sanctionnées comme des atteintes intolérables à la liberté de pensée et à la liberté religieuse, le comportement de la prévenue au musée Grévin n’entre pas dans un tel cadre et n’apparaît contrevenir à aucun droit garanti par une prescription légale ou réglementaire.
C’est à tort que la cour d’appel a énoncé que la seule exhibition de la poitrine d’une femme n’entre pas dans les prévisions du délit prévu à l’article 222-32 du code pénal, si l’intention exprimée par son auteur est dénuée de toute connotation sexuelle.
Cependant, l’arrêt n’encourt pas la censure, dès lors qu’il résulte des énonciations des juges du fond que le comportement de la prévenue s’inscrit dans une démarche de protestation politique, et que son incrimination, compte tenu de la nature et du contexte de l’agissement en cause, constituerait une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression ».
Cass. crim., 26 févr. 2020, n° 19-81.827, P+B+I *
 
 
*Le lien vers la référence documentaire sera actif à partir du 2 avril 2020
Source : Actualités du droit