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Affaire Fesch : le Conseil constitutionnel met fin au dernier espoir de réhabilitation judiciaire

Pénal - Vie judiciaire, Droit pénal général, Peines et droit pénitentiaire
28/02/2020
Non mais oui. Non, ne sont pas contraires à la Constitution les délais imposés pour former une demande de réhabilitation quand il s’agit d’un condamné à mort dont la peine a été exécutée. Mais oui, pourquoi ne pas prévoir une procédure judiciaire ad hoc pour ces cas bien particuliers.
Le 6 avril 1957, un homme a été condamné à mort pour un vol à main armée suivi du meurtre d’un gardien de la paix. Le 1er octobre 1957, il est guillotiné dans la cour de prison de la Santé. Son fils a décidé de former, le 20 mars 2018, une demande en réhabilitation judiciaire pour cette condamnation. Dans ce cadre, une QPC a été déposée.
 
Pour rappel, cette QPC est rédigée ainsi : « Les dispositions des articles 785 et 786, alinéa 1er, du Code de procédure pénale, qui font obstacle à une réhabilitation judiciaire consécutive à l’exécution d’une condamnation à la peine de mort, lorsque l’article 133-12 du Code pénal et l’article 782 du Code de procédure pénale prévoient que toute personne condamnée par un tribunal français à une peine criminelle peut bénéficier d’une telle réhabilitation, portent-elles atteinte au principe de nécessité des peines et au principe d’égalité, tels qu’ils sont garantis par les articles 6 et 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ? » (v. Est-il possible de réhabiliter un condamné à mort ? Une QPC renvoyée, Actualités du droit, 17 déc. 2019).
 
Les délais pour former une demande de réhabilitation conformes à la Constitution
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 28 février 2020, rappelle que :
  • l’article 785 du Code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi du 16 décembre 1992, dispose que « La réhabilitation ne peut être demandée en justice, du vivant du condamné, que par celui-ci, ou, s'il est interdit, par son représentant légal ; en cas de décès et si les conditions légales sont remplies, la demande peut être suivie par son conjoint ou par ses ascendants ou descendants et même formée par eux, mais dans le délai d'une année seulement à dater du décès » ;
  • l’article 786 du même Code, dans sa rédaction résultant de la loi du 17 mai 2011 précise que « La demande en réhabilitation ne peut être formée qu'après un délai de cinq ans pour les condamnés à une peine criminelle, de trois ans pour les condamnés à une peine correctionnelle et d'un an pour les condamnés à une peine contraventionnelle ».
 
Le fils du condamné à mort critique ces dispositions et plus précisément le « délai de cinq ans pour les condamnés à une peine criminelle ». En effet, selon lui, ces dispositions privent les proches d’un condamné à la peine de mort de la possibilité de former une demande de réhabilitation pénale en son nom lorsque la peine a été exécutée. Ces articles porteraient donc atteinte au principe d’égalité devant la loi et devant la justice, et méconnaîtraient le principe de proportionnalité des peines.
 
En ce qui concerne la méconnaissance des principes d’égalité devant la loi et devant la justice, les Sages rappellent qu’au regard des articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, « si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales ».
 
Dans le cas particulier, il s’agit de la réhabilitation judiciaire qui permet notamment de « favoriser le reclassement du condamné ». Et plus particulièrement du délai de cinq ans imposé pour former la demande. Cette dernière apparaît donc impossible pour une personne condamnée à mort dont la peine a été exécutée mais également pour les proches qui souhaiteraient former une demande l’année de son décès.
 
Sur quoi se fonde ce délai ? En réalité, il a été institué par le législateur pour « subordonner le bénéfice de la réhabilitation à la conduite adoptée par le condamné une fois qu'il n'était plus soumis aux rigueurs de la peine prononcée à son encontre » rappelle le Conseil constitutionnel. Concrètement, une personne condamnée devait se montrer « digne », notamment par des gages d’amendement donnés pendant le délai d’épreuve.
 
« Ainsi, la différence de traitement qui résulte des dispositions contestées repose sur une différence de situation et est en rapport direct avec l'objet de la loi » pour les juges.
 
Sur le principe de proportionnalité des peines encadré par l’article 8 de la Déclaration de 1789, le Conseil constitutionnel précise que « Le fait que les ayants droit d'un condamné à mort dont la peine a été exécutée ne puissent engager une action en réhabilitation en son nom ne méconnaît pas le principe de proportionnalité des peines ». Les dispositions contestées sont ainsi déclarées conformes à la Constitution.
 
Bientôt une procédure judiciaire spécifique ? 
Néanmoins, les Sages vont au-delà de la QPC posée en estimant qu’il était tout de même possible de rétablir « l’honneur » des condamnés à mort. Ils rappellent la loi du 9 octobre 1981 abolissant la peine de mort mais aussi l’article 66-1 de la Constitution prévoyant que « nul ne peut être condamné à la peine de mort ».
 
Dans ce contexte, le Conseil constitutionnel estime que le législateur pourrait instituer une procédure judiciaire « ouverte aux ayants droit d'une personne condamnée à la peine de mort dont la peine a été exécutée, tendant au rétablissement de son honneur à raison des gages d'amendement qu'elle a pu fournir ». Reste à savoir si les Sages seront entendus ... 
Source : Actualités du droit